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La démission du chef d’état-major des armées, le 19 juillet 2017 a provoqué une vague de commentaires et d’écrits et notamment des médias qui ont qualifié l’événement de « crise majeure », voire de « crise institutionnelle ».
L’évènement serait une crise car depuis 1961 (contexte de la guerre d’Algérie) aucun chef d’état-major des armées n’a démissionné. On ne recense en effet que quatre démissions de chefs d’état-major d’armes depuis les années 70, quasiment toutes liées à des désaccords sur les moyens.
Cette démission, sans nier son importance, n’est pas encore une crise. Aucun des critères caractérisant une crise ne s’y retrouve. L’évènement n’a pas constitué un facteur aggravant d’un danger mettant en cause le fonctionnement des institutions. Est-ce la phase ultime d’une série de dysfonctionnements mal perçus comme le suggère les travaux de Thierry Libaert ? Est-ce une situation unique à laquelle correspondent des actions spécifiques comme le décrit l’étude citée infra sur les dimensions des crises ?
On pourrait multiplier les citations et les essais de définition de la crise que nous n’aurions pas plus d’éléments de compréhension pour appréhender cette situation.
Force est de constater que sont les médias avec le relais de quelques politiques qui ont qualifié la situation de crise, confirmant en cela que nous sommes plus dans une analyse de perception des événements plus que dans l’analyse clinique. Force est également de constater que dix jours après cette démission, il est difficile d’identifier le séisme institutionnel annoncé et donc la crise ….
Cette affaire illustre bien ce qui a été décrit par Kahneman dans son ouvrage « Système 1, système 2, les deux vitesses de la pensée » et plus particulièrement dans le chapitre 13 « Disponibilité, émotion et risque » ou on entend par disponibilité le processus qui consiste à juger la fréquence avec laquelle les exemples viennent à l’esprit.
C’est donc bien par ce que la dernière démission d’un chef d’état-major des armées remonte à plus de 50 ans, que l’évènement est perçu avec acuité. Cela ne suffit pas à provoquer une crise avec toutes ses conséquences, notamment en termes de prise de décision désastreuse provoquant des destructions (institutionnelles ou matérielles).
Au risque de choquer, cette affaire pourrait être le début d’un retour aux fondamentaux institutionnels. Il y aurait crise, si la démission avait provoqué une fuite des autorités dans l’incertitude ou l’indécision ou aurait révélé l’incapacité du politique à préparer un nouveau cadre qui en fait n’est qu’un retour au modèle constitutionnel. On peut même imaginer que le scénario qui se déroule constitue une transition murement réfléchie. L’analyse de cette affaire montre même l’écart de perception entre ceux qui accordent une importance disproportionnée au futur proche par rapport au futur lointain.
La réalité est bien une séquence ou un très haut fonctionnaire qui n’est pas d’accord avec un arbitrage quitte son poste soit à son initiative soit à celle du gouvernement. La force de l’État et de son chef est d’assumer des politiques publiques contradictoires et notamment l’équation entre plus d’État régalien et la diminution des ressources publiques. C’est cette capacité à assumer la contradiction qui caractérise l’État face à l’entreprise qui poursuit l’objet social pour laquelle elle a été créée. A force de l’avoir oublié depuis plusieurs décennies, nous nous retrouvons à analyser des situations avec un prisme que nous avons-nous même déformé.
Pour qui voudra se plonger dans la lecture de la trentaine d’articles consacrés à la compréhension des crises dans ce blog, il y trouvera les développements de cette analyse.
C’est bien le pilotage défectueux de la réforme des institutions et des administrations qui est en cause et révélateur d’une absence de vision de long terme depuis 1981 avec la première vague de décentralisation. Cette dernière n’a pas donné les résultats escomptés faute de déconcentration à la bonne hauteur et s’agissant de la faiblesse des moyens d’équipements des armées comme celle des forces de sécurité, cette situation a été aggravée par des empilement de politiques catégorielles en faveur de la fonction publique au détriment d’une stratégie de long terme sur le périmètre de l’État.
Pour l’instant, la démission du 19 juillet est bien à ce titre, plus une « surprise prévisible », expliquée par les biais cognitifs qui nous aveuglent, qu’une crise. Revenir à une vision claire des institutions prendra vraisemblablement un peu de temps et on ne peut que saluer à ce titre un retour durable aux fondamentaux d’exercice du pouvoir et à une pratique des institutions conforme à la constitution.
En savoir plus :
Publications de Christophe Roux du Fort :
https://www.cairn.info/publications-de-Roux-Dufort-%20Christophe--58830.htm
Aline P. Pündrich ; Olivier Brunel ; Luciano Barin-Cruz :
Les dimensions des crises : Analyse de deux études de cas sous les approches processuelle et événementielle.
http://www.strategie-aims.com/events/conferences/6-xviieme-conference-de-l-aims/communications/1638-la-crise-comme-processus-et-comme-evenement-analyse-de-deux-etudes-de-cas/download
Thierry C. Pauchant, Ian I. Mitroff :
Transforming the crisis-prone organization : preventing individual, organizational, and environmental tragedies ;
Publications de Thierry Libaert :
http://www.tlibaert.info/